Le droit du travail accorde à toute communauté de travail une représentation propre qui peut même s’étendre au-delà des constructions juridiques permises par le droit des sociétés.  A cet égard, la plasticité du droit du travail s’est manifestée par la création de la notion d’Unité Economique et Sociale (UES).

Au départ, construction prétorienne afin de déjouer les manœuvres consistant à la division de l’entreprise en sociétés distinctes pour éviter les effets de dépassement de seuils, l’UES a ensuite été consacrée par le législateur, encadrant davantage sa reconnaissance que ses effets.

 

La reconnaissance de l’UES

Composantes de l’UES

Une UES est formée entre des  « entreprises juridiquement distinctes »1. Les entités la composant doivent être prises « dans l’ensemble de leurs établissements et de leur personnel »2. Un établissement distinct d’une société ne peut donc pas constituer une UES sans que les autres établissements qui composent la même entité n’y figurent

également. L’UES peut réunir des personnes morales, telle une société commerciale, une association, un GIE, et des entreprises gérées par des personnes physiques en nom propre, telle une EURL, ou en EIRL. Rien n’interdit

d’opérer au sein d’une UES des regroupements originaux de sociétés et d’associations.

La reconnaissance d’une UES au sein d’un groupe de sociétés est possible. La jurisprudence semble même l’encourager tant elle y reconnaît des règles spécifiques pour déterminer les composantes de cette notion.   Il est ainsi admis qu’une UES puisse être reconnue entre des entités dotées de la personnalité morale et d’autres dépourvues de cette qualité3 Notamment, la succursale française d’une société étrangère peut faire partie d’une UES. Il est aussi admis que l’UES contienne une structure dépourvue de salarié, a priori la société holding, même si de fait elle ne partage pas le critère de l’unité sociale. L’intérêt est de permettre au comité mis en place au sein de l’UES de discuter avec l’entité disposant du pouvoir de direction au sein du groupe, c’est-à-dire l’interlocuteur le plus pertinent.

 

Critères de l’UES

L’UES est caractérisée si les entités qui la composent forment entre elles une unité économique et une unité sociale.

 

L’unité économique – Elle résulte de la concentration des pouvoirs de direction à l’intérieur du périmètre considéré ainsi que de la similarité ou de la complémentarité des activités déployées par ces différentes entités. S’agissant du premier critère, la Cour de cassation exprime son attachement à une « direction commune ››4 dépassant les liens de nature capitalistique. L’unité de direction peut éventuellement être exercée par plusieurs personnes agissant de concert.  Le second critère s’attache exclusivement au contenu des activités exercées. Les activités des entités de l’UES sont similaires ou complémentaires en raison de leur interdépendance horizontale (production des mêmes

produits) ou verticale (de la production à la distribution).

 

L’unité sociale – Elle résulte d’une communauté de travaiIIeurs5, ce qui suppose des conditions de travail similaires susceptibles de générer des intérêts communs en termes de réclamations, de consultations et de revendications. Le juge recourt ici à la méthode du faisceau d’indices. Font apparaître l’unité sociale: la présence des salariés dans des mêmes locaux ou sur un même site6, une ressemblance des statuts collectifs, qu’il s’agisse des conventions ou accords collectifs (telle l’application d’un même accord de branche ou d’accords d’entreprise similaires) ou d’actes unilatéraux (tel un règlement intérieur identique), une gestion commune du personnel7 dont peut témoigner l’existence de services administratifs et comptables communs8, la permutabilité des salariés…

 

Modalités de reconnaissance d’une UES

La reconnaissance d’une UES emprunte deux voies alternatives : un accord collectif ou une décision de justice9, à l’exclusion de toute autre voie. En particulier, une décision unilatérale ne suffit jamais à considérer l’UES constituée. Ainsi, la désignation par un syndicat d’un délégué syndical d’UES dans un périmètre qui n’est pas déjà reconnu comme tel ne la fait pas apparaître.

Lorsque la voie conventionnelle est choisie, la négociation d’un «  accord collectif de droit commun »10, et non d’un protocole d’accord préélectoral, doit être engagée. Sa conclusion nécessite qu’il soit signé « aux conditions de droit commun par les syndicats représentatifs au sein des entités faisant partie de cette UES » 11. Cette condition est délicate à respecter dès lors qu’aucune élection n’a encore été organisée dans ce périmètre.

L’accord doit être spécifique à la configuration de l’UES. Celui ayant un autre objet, tel un accord d’intéressement couvrant un périmètre plus large qu’une entreprise, n’emporte pas reconnaissance d’UES. ll est un simple indice de l’existence de l’unité sociale. A minima, l’accord doit définir son périmètre et énoncer les circonstances justifiant la reconnaissance du périmètre en reprenant les critères jurisprudentiels de l’unité économique et de l’unité sociale.

Pour l’éventuel litige portant sur la validité d’un accord collectif, le tribunal de grande instance est compétent.

 

Si les parties préfèrent recourir à la décision de justice pour configurer une UES, le tribunal d’instance est compétent12. Tout intéressé peut saisir le juge : un salarié de l’une des personnes morales susceptible de composer l’UES, un CSE d’une société de la future UES, tout syndicat représentatif dans une entreprise de la future UES. En revanche, les personnes étrangères a la collectivité de travail ne peuvent pas agir en reconnaissance de l’UES13. Ainsi, celui qui n’est plus salarié au jour de la demande n’a ni intérêt, ni qualité pour agir. Le rôle du juge est de constater, ou non, l’existence d’une unité économique et d’une unité sociale. Son jugement est rendu à charge d’appel14. L’appel est suspensif d’exécution (CPC, art. 540), ce qui allonge le délai de reconnaissance de l’UES.

 

L’opération est renouvelée lors de chaque scrutin. Lorsqu’elles se réunissent en vue de la négociation préélectorale, les parties sont invitées à définir la composition et le périmètre de l’UESl5. Elles peuvent constater la perte de tout ou partie des critères de reconnaissance, le départ ou l’arrivée d’une entité. Il est alors nécessaire d’acter la modification dans la composition de l’UES.  Quel que soit l’acte de reconnaissance initial, cette modification peut intervenir par accord ou par décision de justice.

 

L’UES reconnue

Prérogatives

L’UES est un être hybride. Seuls quelques rares aspects du droit des relations collectives de travail lui sont applicables: la mise en place d’instances élues et de représentations syndicales communes. L’accord constitutif de l’UES peut prévoir détendre ses effets au-dela16. Il peut notamment envisager la conclusion d’accords collectifs d’UES. Dès lors, lorsque l’UES est reconnue par décision de justice, il n’est pas certain qu’elle dispose de la faculté de conclure des accords communs, ce qui surprendrait dès lors que des délégués syndicaux peuvent y être désignés.

Au-delà, l’UES ne dispose pas de compétences spécifiques. En particulier, l’UES est dépourvue de la personnalité morale. Trois conséquences en découlent. D’abord, elle n’a pas la qualité d’employeur des salariés travaillant dans les entités réunies en son sein. La règle est d’ordre public. L’éventuelle clause de l’accord de configuration qui lui

reconnaitrait une telle portée est nulle17.

 

Ensuite, il n’est pas nécessaire de chercher la convention collective de branche applicable en son sein. Plusieurs conventions collectives de branche ont vocation à s’appliquer dans une UES, chacune avec un domaine limité aux entités qui la composent. La recherche de l’activité principale d’une UES est donc a priori sans intérêt. Elle demeure toutefois utile dans une situation : elle permet de vérifier la validité de la désignation d’un représentant syndical laquelle suppose que le syndicat désignataire ait compétence pour intervenir dans le périmètre géographique et professionnel de l’UES.

 

Enfin, l’UES ne peut ni ester en justice18, ni faire l’objet d’une action en justice. Celui qui souhaite émettre des prétentions relatives aux droits et obligations d’une UES ne peut pas l’attraire en justice. Il peut seulement engager son action contre l’ensemble des entités intégrées à l’UES, voire former la requête contre l’une d’elles 19.

 

Obligation d’organiser une représentation des salariés

L’UES est traitée comme une entreprise unique pour la mise en place des représentants du personnel. Sa reconnaissance emporte l’organisation immédiate d’élections professionnelles afin de constituer un CSE commun aux entités composant l’UES, sous réserve qu’ensemble elles emploient au moins onze salariés20. L’élection d’un tel CSE commun emporte en principe la cessation immédiate des mandats présents au sein des entités composant l’UES. La caducité atteint les mandats d’élu du personnel et de représentant d’organisations syndicales 21.  Elle intervient de plein droit sans nécessiter de constat judiciaire. Toutefois, pour éviter leur disparition, il est permis de conclure un accord prévoyant l’achèvement des mandats en cours au sein des entités. Il pourrait être pertinent de faire figurer cette clause dans l’accord de configuration de l’UES afin de faciliter son adoption.

 

A ce regroupement d’entités distinctes sont appliqués les textes relatifs à la représentation du personnel dans une entreprise ordinaire. L’UES peut être alors considéré comme une entreprise a établissement unique. Y sont alors organisés les élections d’un comité social et économique commun. Il est aussi possible de constater, au sein d’une

UES, l’existence d’établissements distincts.  Sont alors élus des CSE d’établissement et un CSE central d’UES. A cet effet, la conclusion d’un accord conclu au niveau de VUES, afin de convenir de leur existence et de délimiter

leurs périmètres, est nécessaire.

 

Remarque : cela présente une difficulté lors des premières élections dans ce nouveau périmètre. Faute d’élections antérieures dans ce cadre, aucun syndicat n’y est représentatif.  Il n’est pas d’autre solution que de consolider les résultats électoraux des entités concernées pour y faire émerger des syndicats représentatifs.

 

La loi prévoit, à titre subsidiaire, que le nombre et le périmètre des établissements distincts peut être fixé par accord entre les entreprises regroupées au sein de l’UES et le CSE, adopté à la majorité des membres titulaires élus de la délégation du personnel du comité. Cette règle est, elle aussi, inapplicable dans l’UES récemment reconnue, puisque, par hypothèse, le CSE commun n’est pas encore constitué. Dès lors, la délimitation du périmètre des élections relève le plus souvent de la mission de l’un des employeurs mandatés par les autres à cet effet. Pour se prononcer, il doit tenir compte de l’autonomie de gestion du responsable de l’établissement, notamment en matière de gestion du personnel. Toute contestation de sa décision unilatérale est portée devant l’autorité administrative du siège de l’entreprise décisionnaire ; en cas de contentieux, le juge judiciaire est compétent.

 

Une fois les élections organisées, les syndicats peuvent désigner, sous réserve que l’UES franchisse le seuil de 50 salariés, des délégués syndicaux ou des représentants de sections syndicales selon les résultats obtenus. La désignation intervient dans le périmètre de l’UES ou dans les établissements distincts de celle-ci. Sa notification est adressée au représentant légal de chacune des entités composant l’UES22.

 

Interdiction de constituer un comité de groupe

Le groupe d’entreprises et l’UES présentent un lien de parenté évident. Tous deux se présentent comme une pluralité d’entités juridiques distinctes, affichent une certaine concentration du pouvoir de décision économique ainsi que, souvent, une relative complémentarité des activités. Mais puisque les deux notions ne doivent pas être confondues, la Cour de cassation affirme « l’’incompatibilité entre les notions d’unité économique et sociale et de groupe doté d’un comité »23. Il en résulte que les deux cadres de représentation ne peuvent pas coexister ; un comité de groupe et un CSE ne peuvent pas unir les mêmes entreprises.  Cette solution fait du comité de groupe un moyen d’écarter, par avance et indûment, toute implantation de CSE au même niveau,  et vice versa. En revanche, dès lors que leurs périmètres respectifs diffèrent, le cumul d’un groupe et d’une UES est possible : l’existence d’un comité de groupe n’empêche nullement de faire reconnaître une UES à l’intérieur du périmètre du groupe entre des entreprises distinctes à condition qu’il ne s’agisse que d’une partie des entreprises 24.

 

Disparition

Lorsqu’une UES a été reconnue conventionnellement, la survenance d’un évènement lui faisant perdre ses critères caractéristiques emporte la mise en cause de son accord constitutif. Ainsi, l’accord survit quinze mois au maximum avant de disparaître. Pendant la période de survie de l’accord, l’organisation de négociations s’impose afin d’adapter

l’accord a la nouvelle structure de l’entreprise ou de définir de nouvelles dispositions25.  Pour les entités ayant perdu les relations justifiant l’unité économique ou l’unité sociale, la disparition de l’UES emporte la caducité des mandats qui y sont attachés, peu importe qu’il s’agisse de  « mandats communs » ou de « mandats locaux ». La caducité intervient à la date de l’évènement emportant la perte des critères de l’UES. Si des entités composant l’UES conservent entre elles les critères de l’unité économique et de l’unité sociale, les mandats communs sont maintenus pendant la période de négociation de l’accord de substitution.

 

Lorsqu’une UES reconnue judiciairement a perdu ses conditions d’existence, sa disparition requiert un constat judiciaire. Il incombe alors à celui qui en allègue la disparition «de prouver les modifications intervenues d’où découle cette disparition ››26. La disparition des mandats intervient à la date de la décision judiciaire.

 

 

  1. Art. L. 2322-4 du Code du travail.
  2. Cass. soc., 10 nov. 2010, n° 09-60.451.
  3. Cass. soc., 21 nov. 2018, n°16-27.690.
  4. Cass. soc., 13 sept. 2009, n° 04-80.348.
  5. Cass. soc., 18 juill. 2000, n° 99-60.353.
  6. Cass. soc., 22 juill. 1981, n° 81-60.505.
  7. Cass. soc.,16 déc. 1998, n° 97-60.521.
  8. Cass. soc., 9 juin 1988, n° 87-60.216.
  9. Art. L. 2313-8 du Code du travail.
  10. Cass. soc.,14 nov. 2013, n°13-12.712.
  11. Cass. soc., 30 juin 2015, n°14-12.522.
  12. Cass. soc., 28 oct. 2003, n° 01-46.188.
  13. Cass. soc.,18 nov. 2010, n° 09-40.555.
  14. Cass. soc., 31 janv. 2012, n°11-20.232.
  15. Cass. soc. 31 mars 2009, n° 08-60.497.

16 Cass. soc., 12 juill. 2006, n° 04-40.331.

  1. Cass. soc.,16 déc. 2008, n° 07-43.875.
  2. Cass. soc., 23 juin 2010, n° 09-60.341.
  3. Cass. soc., 14 janv. 2014, n°13-60.165.
  4. Art. L. 2313-8 du Code du travail.
  5. Cass. soc., 29 avr. 2009, n° 07-19.880.
  6. Cass. soc., 16 avr. 2008, n° 07-60.045.
  7. Cass. soc., 25 janv. 2006, n° 04-60.234.
  8. Cass. soc., 30 mai 2001, n° 00-60.111.
  9. Cass. soc., 13 déc. 2017, n°16-26.553.
  10. Cass. soc., 3 oct. 2007, n° 06-60.284.