Ce mercredi, à 14 heures, tous les yeux étaient rivés vers la Cour de cassation. C’est en effet à cette heure que la Haute juridiction devait rendre ses avis à la suite de sa saisine par deux conseils de prud’hommes sur la conventionnalité du barème d’indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Un avis très attendu face à la fronde de conseils de prud’hommes qui ont écarté son application. Après l’audience du 8 juillet, qui a duré près de trois heures trente, la Cour de cassation, réunie en Assemblée plénière, a décidé de juger le barème conforme à la convention OIT n° 158 (avis en pièces jointes).
Premier enseignement de ces deux avis – et non des moindres – la Cour de cassation accepte désormais très clairement de rendre un avis lorsque sont en jeu des normes internationales. C’est toutefois à la condition que son examen implique un contrôle abstrait ne nécessitant pas l’analyse d’éléments de fait relevant de l’office du juge du fond.
Sur le fond, la Cour de cassation apporte une réponse distincte et circonstanciée pour chacune des normes invoquées.
La question posée à la Cour de cassation portait sur l’une des dispositions de l’article L.1235-3 du code du travail, à savoir la compatibilité de la disposition prévoyant notamment, pour un salarié ayant une année complète d’ancienneté dans une entreprise employant au moins 11 salariés, une indemnité pour licenciement sans cause et sérieuse comprise entre un montant minimal d’un mois de salaire brut et un montant maximal de deux mois de salaire brut avec plusieurs normes de droit international et européen :
- l’article 6, § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
- l’article 24 de la Charte sociale européenne ;
- l’article 10 de la convention OIT n° 158.
S’agissant de la première norme, la Cour de cassation décide qu’elle ne trouve pas à s’appliquer à la question qui lui est posée. Elle estime que les dispositions contestées n’entrent pas dans son champ d’application. L’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales prévoit que : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (…) ».
Le barème fait-il obstacle à un procès équitable ? La Cour de cassation souligne qu’il convient de distinguer ce qui est d’ordre procédural de ce qui est d’ordre matériel. Or, selon elle, la norme en cause ne peut pas être invoquée s’agissant de limitations matérielles d’un droit consacré par la législation interne. Tel est le cas du barème qui limite le droit matériel quant au montant de l’indemnité susceptible d’être allouée au salarié en cas de licenciement. Il ne constitue pas une limitation procédurale qui entraverait l’accès à la justice.
La seconde norme est également écartée du débat, mais pour une toute autre raison. L’article 24 de la Charte sociale européenne prévoit en cas de licenciement le versement « d’une indemnité adéquate ou toute autre réparation appropriée« . La Cour de cassation estime que cette disposition n’est pas d’effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers, compte tenu de la marge d’appréciation laissée aux parties contractantes (lire à ce sujet les chroniques de Julien Icard et de François Pinatel).
La conventionnalité de l’article L.1235-3 du code du travail est donc appréciée au regard du seul article 10 de la convention OIT n° 158. Cet article prévoit en cas de licenciement injustifié et de l’impossibilité d’annuler le licenciement et/ou d’ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, « le versement d’une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée« .
Lors de l’audience, les débats ont d’ailleurs principalement tourné autour de la notion de « réparation adéquate ». La Cour de cassation, dans ses deux avis, estime que le terme « adéquat » doit être compris comme réservant aux Etats une marge d’appréciation.
Côté employeurs, les avocats avaient justement défendu cette idée que la réparation adéquate suppose de tenir compte de l’ensemble du système d’indemnisation du licenciement injustifié. L’avocate générale avait abondé dans ce sens. La Cour de cassation conforte cette analyse. « En doit français, si le licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l’entreprise. Lorsque la réintégration est refusée par l’une ou l’autre des parties, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur dans les limites des montants minimaux et maximaux ». La Cour de cassation ne semble pas tenir compte de l’argument invoqué par les avocats de salariés selon lequel la réintégration resterait une exception.
La Cour de cassation assoit également sa position sur la possibilité d’écarter l’application du barème en cas de nullité du licenciement.
Ces deux motifs permettent à la Cour de cassation d’affirmer que le barème est bien compatible avec les dispositions de l’article 10 de la convention n° 158 de l’OIT. Si la question posée à la Cour de cassation avait trait à la fourchette la plus basse du barème (pour une ancienneté d’un an), c’est bien l’ensemble de l’article L.1235-3 du code du travail qui est jugé conforme à la norme internationale.
Ces deux avis clôturent-ils définitivement le débat ? Tel est en tous les cas l’avis de la ministre du travail, Muriel Pénicaud, qui s’est exprimée lors d’une conférence de presse, à peine deux heures après que la Cour de cassation ait rendu ses avis. « C’est une très bonne nouvelle sous deux angles. La sécurisation juridique (…) et [le fait] de clarifier, rassurer et rendre plus équitable la situation des salariés et des entreprises. C’est une très bonne nouvelle pour l’emploi, a-t-elle poursuivi. Que la peur de l’embauche soit rationnelle ou irrationnelle, elle produit des effets négatifs. Les entreprises n’ont plus de raison d’avoir peur d’embaucher ».
Autre vertu attribuée par la ministre à la position de la Cour de cassation : cette décision « va logiquement faire baisser le nombre de recours sur le barème devant les conseils de prud’hommes, sécuriser les deux parties, donner de la clarté et encourager la négociation ».
La ministre du travail ne craint pas la résistance de certains juges du fond. « L’avis est de portée générale. Si des conseils de prud’hommes minoritaires [s’y opposent] il y aura certainement appel ou pourvoi en cassation. Et maintenant il y a un avis de la Cour de cassation ». La ministre n’est pas non plus inquiète du recours devant le Comité européen des droits sociaux (CEDS). « Ce n’est pas une instance juridictionnelle ; cela n’a pas d’effets juridiques ».
La ministre du travail peut-elle donc partir en vacances sereinement ? Quoi qu’il en soit, dès la rentrée, le débat reprendra. La cour d’appel de Paris et celle de Reims doivent en effet rendre leurs décisions sur le barème le 25 septembre. Suivront-elles l’avis de la Cour de cassation ?