Plusieurs arrêts rendus ces quatre derniers mois mettent en évidence l’important contentieux entourant la problématique du harcèlement moral en entreprise. Récapitulatif des précisions apportées par la Cour de cassation.

Les litiges sur le harcèlement moral en entreprise concernent essentiellement l’appréciation par les juges du fond des faits invoqués par le salarié à l’appui de sa demande de reconnaissance du harcèlement. Le délai de prescription, la réaction du salarié harcelé ou encore l’indemnisation du salarié harcelé font également l’objet d’un contentieux important. La preuve en est que beaucoup de décisions ont été rendues ces quatre derniers mois par la Cour de cassation.

 
Contenu des décisions
Précisions
Auteur du harcèlement moral
Les agissements de harcèlement moral commis par la présidente d’une association qui entretenait des relations institutionnelles avec les supérieurs hiérarchiques et la compagnie de gendarmerie à laquelle appartenait l’intéressé, s’inscrivaient dans une relation de travail, peu important que la prévenue n’était pas liée par un contrat de travail à la gendarmerie (Cass. crim., 7 mai 2019).
Le harcèlement moral peut être le fait de l’employeur, de son représentant ou d’un supérieur hiérarchique, mais également d’un tiers à l’entreprise s’il exerce une autorité de fait ou de droit sur le salarié.
La Cour de cassation a admis, à ce titre, qu’un employeur pouvait être tenu pour responsable d’actes de harcèlement moral commis par un tiers à l’entreprise à l’encontre d’une de ses salariées au titre de son obligation de sécurité de résultat.
Dans cette affaire, le tiers désigné comme l’auteur des faits de harcèlement moral, chargé par l’employeur de mettre en place de nouveaux outils de gestion, et de former la responsable du restaurant et son équipe, pouvait exercer une autorité de fait sur les salariés.
Étendue de la protection
Un salarié dispensé d’activité en raison d’une période de congé de fin de carrière bénéficie de la protection contre le harcèlement moral, dans la mesure où il est resté lié à l’entreprise par un contrat de travail (Cass. soc., 26 juin 2019).
Le salarié bénéficie de la protection contre le harcèlement moral quelle que soit la nature du contrat de travail dont il est titulaire : CDI, CDD, contrat de formation en alternance, (…), y compris au cours d’un arrêt de travail pour maladie prolongée.
Réaction du salarié harcelé
Le licenciement d’une salariée intervenue en raison de son attitude de moins en moins collaborative, des tensions qu’elle créait au sein de l’équipe et du fait qu’elle dénigrait le gérant est nul dès lors que ces faits constituaient une réaction de l’intéressée au harcèlement moral dont elle était victime (Cass. soc., 10 juill. 2019).
Un employeur ne peut reprocher au salarié harcelé de se « défendre ».
Dans le même sens, s’agissant des dommages-intérêts versés à une salariée victime d’agissements de harcèlement moral, la Cour de cassation a précisé que les juges du fond ne peuvent limiter leur montant au motif que l’intéressée a pu contribuer, par son propre comportement, à la dégradation de ses conditions de travail.
Appréciation des faits par les juges du fond
Une Cour d’appel ne peut débouter un salarié de sa demande au titre d’un harcèlement moral au motif que les éléments développés en différents points dans ses écritures ne se présentaient pas comme des agissements répétés en ce que chacun d’entre eux avait un caractère isolé (Cass. soc., 26 juin 2019).
En cas de contentieux, les juges du fond doivent examiner la matérialité de chacun des faits invoqués par le salarié puis apprécier, dans leur ensemble, si les éléments produits permettent de présumer l’existence d’un harcèlement.
Agissements ayant été qualifiés de harcèlement moral
Caractérise une situation de harcèlement moral :
  • le fait, pour un employeur, de s’opposer à ce qu’un salarié reprenne ses fonctions après un transfert d’entreprise et de l’obliger à prendre ses congés à compter d’une certaine date en s’affranchissant des règles relatives à la procédure de détermination et de notification des périodes collectives et individuelles des congés payés à seule fin de l’écarter de ses fonctions (Cass. soc., 12 juin 2019) ;
  • le fait, pour un employeur, de ne pas avoir répondu à une réclamation d’une salariée concernant une prime, de lui avoir adressé un mail de recadrage sur les horaires et un mail concernant la façon de recevoir les clients ainsi qu’un avertissement injustifié, dans un contexte tendu (Cass. soc., 29 mai 2019).
Dans le même sens, le refus de congés successifs opposés à un salarié, les courriers impératifs remettant en cause la dispense d’activité de l’intéressé liée à ses fonctions de secrétaire du comité d’entreprise, la mutation, la procédure de licenciement engagée à son encontre pour une faute commise la veille et la modification du mode de calcul de sa rémunération au mépris des engagements pris constitue également un harcèlement moral.
Prise d’acte de la rupture du contrat de travail
Une Cour d’appel qui a constaté que les manquements de l’employeur en matière de prévention du harcèlement étaient anciens, que les faits de harcèlement n’avaient duré que quelques semaines et que l’employeur avait immédiatement diligenté une enquête et pris des sanctions, a pu décider que ces manquements n’étaient pas de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail (Cass. soc., 19 juin 2019).
En revanche, le fait pour un employeur, bien qu’informé des faits de harcèlement moral, de n’avoir pris au jour de la rupture aucune mesure pour les faire cesser, la salariée pouvant légitimement craindre la perpétuation des agissements de harcèlement moral lors de son retour dans l’entreprise, rendait impossible la poursuite de la relation contractuelle.
Point de départ du délai de prescription en matière pénale
En matière pénale, le délai de prescription du délit de harcèlement moral ne commence à courir qu’à partir du dernier acte de harcèlement commis (Cass. crim., 19 juin 2019).
S’agissant du point de départ de la prescription de l’action devant les juridictions civiles, le Tribunal de la Fonction Publique de l’Union Européenne a considéré qu’il convenait de retenir le dernier acte de l’auteur présumé ou le moment à partir duquel celui-ci n’était plus en mesure de renouveler ses actes à l’encontre de sa victime.
Indemnisation du préjudice moral
La Cour d’appel qui a alloué au salarié une somme au titre des dommages-intérêts en réparation du préjudice moral pour harcèlement moral et une somme en indemnisation du préjudice moral inhérent aux circonstances vexatoires et déloyales de la rupture, a indemnisé deux fois le même préjudice et a violé le principe de réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime (Cass. soc., 13 juin 2019).
Pour rappel, le salarié harcelé a droit devant les juridictions civiles, au titre de la rupture de son contrat de travail, aux indemnités de licenciement ainsi qu’à l’indemnité pour licenciement nul.
Il peut également avoir droit à une indemnité en réparation du préjudice moral causé par le harcèlement.
Nullité du licenciement
Caractérise le lien entre le licenciement et le harcèlement moral, justifiant la nullité de la mesure, la Cour d’appel qui a retenu que les arrêts maladie et l’absence du salarié, motifs du licenciement, étaient intervenus « dans un contexte » de harcèlement moral (Cass. soc., 5 juin 2019).
Aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire pour avoir subi ou refusé de subir des agissements de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.
Toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance de cette disposition est nulle.